De plus en plus, en entreprise, se développent ce que l’on appelle les « Cobots », contraction du terme anglais « collaborative robots ». Par extension, on parle également de « cobotique », le domaine qui développe des robots capables de travailler avec les humains.

Qu’est-ce qu’un cobot ?

Ce terme revêt plusieurs dimensions mais bien une ambition : il peut s’agir au sens large d’un « assistant qui va aider l’humain dans la réalisation d’une tâche » ou de manière plus ciblée « d’un robot industriel collaboratif » avec pour objectif de « soulager l’humain sur des tâches qui sont pénibles, répétitives et à faible valeur ajoutée » grâce à ses « fonctions en général mécaniques et parfois cognitives ».

Les techno-sceptiques nous alarmeront sur le remplacement inéluctable des humains par les robots, tandis que les technophiles envisageront ce bouleversement comme une formidable occasion de passer du monde du travail à celui de l’oisiveté, du plaisir et de la créativité [1].

Ce n’est pas sans un soupçon d’ironie que nous brossons un tel tableau… Et d’ailleurs nous ne chercherons pas ici à prendre parti sur la question, mais plutôt à exposer certains faits concernant les avancées techniques et les applications de la collaboration humain-robot : comment robots et humains peuvent-ils travailler ensemble ? Dans quelles mesures les robots peuvent-ils constituer des bons collaborateurs ? Dans quels domaines est-ce déjà possible ?

Les robots doivent apprendre à collaborer

Pour parler de cobotique il faut avant tout rendre le robot capable de collaborer : cette activité recouvre des processus cognitifs complexes, ceux mêmes qui font de la collaboration une activité fondamentalement humaine et difficile à reproduire. En effet, si les robots sont déjà tout à fait capables d’exécuter des tâches spécifiques seuls, parfois même mieux que les humains, la question se pose quant à leur capacité de réaliser des tâches avec des humains.

Loin d’être acquises, les compétences sous-jacentes à la collaboration ont encore besoin de développement pour que les robots puissent être capables de travailler en harmonie avec des êtres humains. Dans une série d’articles récents (Rozo et. al. 2018)[2], plusieurs scientifiques en robotique et intelligence artificielle ont proposé un état de l’art des défis d’apprentissage qui se posent au champ de la cobotique :

  • Les robots doivent développer une capacité de compréhension des intentions et d’anticipation des actions de leur collaborateur : cette capacité sert par exemple à se coordonner de manière subtile dans des tâches à risque qui requièrent des mouvements physiques rapides et précis (e.g. la coordination entre un chirurgien et une infirmière dans un bloc opératoire pour s’échanger les instruments).
  • Les robots doivent développer une capacité à comprendre le niveau de fatigue de leur collaborateur : cette capacité est indispensable dans des tâches de co-manipulation où le robot devra remplacer son alter-humain au bon moment pour le soulager.
  • Les robots doivent développer une capacité à être proactifs dans les interactions sociales : cette capacité leur permet d’enclencher une action au cours d’une collaboration et pas de simplement réagir à l’action humaine.

Ces différentes dimensions de la collaboration – l’intentionnalité, l’anticipation, la sensibilité, la proactivité – constituent de véritables défis d’apprentissage en robotique qui sont loin d’être résolus. En revanche, si les robots ne sont pas encore des collaborateurs parfaits, ils ont déjà fait leur preuve en tant que tels dans de nombreux domaines.

Les applications de la cobotique : du domaine industriel au secteur de service

L’usine

Le premier champ d’application de la cobotique est le domaine industriel. En effet, c’est aux côtés d’employés qui réalisent des tâches pénibles, avec des risques de fatigue voire d’accidents physiques, que les robots ont d’abord trouvé une utilité indéniable.  En retour, le soulagement physique des employés peut avoir un impact réellement positif sur la productivité de l’entreprise.

L’entreprise allemande KUKA est la première à proposer divers types de technologies qui permettent de soulager l’humain dans des métiers physiquement difficiles. Le bras industriel en est un exemple. Désormais presque aussi sensible qu’un être humain selon KUKA, ce cobot peut sentir la présence de l’humain et ainsi s’arrêter ou reprendre une tâche au bon moment. Sa particularité est d’être programmable par imitation du geste humain : le cobot apprend de son partenaire humain pour pouvoir ensuite répéter l’action à sa place, ou avec lui.

Dans la même veine, les exosquelettes apportent une armature pour renforcer le squelette humain, permettant ainsi de prévenir les troubles musculo-squelettiques et de corriger les mauvaises postures. Cette intervention est particulièrement importante pour les personnes qui portent des charges ou qui doivent maintenir des postures penchées sur une longue durée.

La santé

Au Japon, la robotique médicale a connu un essor considérable ces vingt dernières années : pour 10 000 salariés travaillant dans le secteur médical, il existe en moyenne près de 1280 robots. Ou plutôt cobots. Cette proportion est 10 fois supérieure à la situation en France alors même que le vieillissement de notre population, peut-être pas aussi spectaculaire que le « papy boom » japonais, constitue déjà un enjeu économique et sociétal de taille.

Le Japon constitue un lieu d’observation audacieux quant à l’insertion du numérique et de la robotique auprès des personnes vulnérables, c’est-à-dire vieillissantes ou handicapées, pour qu’elles puissent rester autonomes le plus longtemps possible et garder une vie décente. La culture japonaise se prête facilement à de telles innovations, notamment parce que les êtres non-vivants, tel que le robot, sont appréhendés comme des êtres au même niveau que les vivants[3] et non comme des technologies menaçantes. D’ailleurs, les représentations culturelles nippones de robots, telles que dans les films de Miyazaki, sont bien plus bienveillantes et proches des humains que les représentations occidentales, tel que Frankenstein ou Terminator. En lire plus

Cela étant dit, des premières expérimentations de cobotique dans le domaine de la santé ont également été mises en place en France. Et pas des moindres… Conçu au Japon, Paro est un robot animaloïde, à l’apparence de phoque et c’est un co-thérapeute qui a commencé à circuler dans plusieurs hôpitaux français (e.g. en Normandie et à Marseille). En complément du travail des soignants humains, Paro est utilisé auprès de personnes fragilisées, soit par le vieillissement soit par des handicaps comme Parkinson, afin de leur apporter du réconfort affectif, diminuer leur stress et activer leur sociabilité. Comme vous le verrez dans la vidéo ci-dessous, cette peluche bouge et émet des bruits quand on la câline ; comme un réel animal.

 

L’idée peut mettre mal à l’aise, évidemment : un cobot a-t-il sa place auprès de personnes vulnérables ? Quel genre de liens peut-il créer avec elles ? N’est-ce pas dangereux d’artificialiser la relation au patient ? Des précautions sont à prendre c’est certain, mais autant les concepteurs que le personnel médical en sont conscients : il n’est pas question de remplacer les soignants ou le contact humain, mais bien de leur apporter un nouvel outil, un « complément thérapeutique » pour soulager leurs patients en peine. Dans une interview récente[4], une chercheuse ayant étudié l’implémentation de Paro dans un centre hospitalier normand témoigne des effets positifs que celui-ci a eus sur les patients. Elle pointe également les bénéfices perçus par le personnel soignant, pour qui ce cobot permet de remettre des émotions positives et de la gaîté dans un contexte professionnel souvent plombé par la mort omniprésente.

Quelques questions pour conclure

Nous nous sommes questionnés sur les défis techniques et les possibles pour faire des robots de bons collaborateurs. Mais les interrogations se posent également dans l’autre sens : sommes-nous à mêmes de travailler avec des robots ? Les organisations sont-elles prêtes à accueillir des robots dans leurs murs ? Quelles conditions faudrait-il mettre en place pour qu’ils soient acceptés ? Pourriez-vous les fréquenter dans votre quotidien professionnel ? À quel point pourraient-ils se substituer à la collaboration humaine ? Et au contraire, à quel point avons-nous besoin de préserver un faire ensemble proprement humain ?

 

 

Pour aller plus loin

[1] Pour aller plus loin : la série d’articles « Boulofictions » d’Usbek et Rica synthétise les réflexions menées par Daniel Kaplan à travers le projet Work +, en partenariat avec La Fing, sur les imaginaires autour du futur du travail. Ces articles donnent à voir de manière vivante les controverses sur ces futurs utopique et dystopique, présentées de manière binaire dans l’introduction de ce billet. Ici

[2] Rozo, L., Amor, H. B., Calinon, S., Dragan, A., & Lee, D. (2018). Special issue on learning for human–robot collaboration. Autonomous Robots, 1-4.

[3] Pour approfondir sur la philosophie nippone en lien avec la robotique : Ici

[4] Interview sur France Culture du 5 janvier 2018 : Ici