Qu’est-ce qu’un « sparring partner » ?

Le terme « sparring partner » signifie « partenaire d’entraînement ». Dans le lexique sportif, le sparring partner :

  • permet au sportif de s’entraîner : « Il s’agit d’un partenaire d’un certain niveau destiné à faire de l’opposition à un athlète ou champion en préparation de match » ;
  • doit être de taille face au sportif : « Son rôle est déterminé par l’entraîneur afin de faciliter le travail de son « élève » notamment en termes de caractéristiques et qualités se rapprochant de celles de l’adversaire à rencontrer »;
  • est un pilier incontournable de l’entraînement : « Il est l’élément indispensable des progrès de l’athlète. D’ailleurs un bon sparring-partner, pour un boxeur professionnel en préparation de « gros match », se monnaye avantageusement. »

Sorti du contexte sportif, un partenaire d’entraînement est quelqu’un (ou quelque chose…) qui permet de progresser dans un domaine donné car il offre l’occasion de mettre en pratique les compétences à développer. Autrement dit, le partenaire d’entrainement est une composante clé dans la formation, quoiqu’il ne soit pas TOUTE la formation. Un joueur de tennis professionnel a également besoin de faire du footing, d’apprendre des éléments théoriques sur son domaine ou encore d’enseigner le tennis à des plus jeunes : sa formation en tant que joueur professionnel ne repose pas exclusivement sur l’entrainement avec des adversaires.

Revenons en au robot. Dans quelles mesures peut-il permettre à un humain de mettre en pratique ses compétences ? Dans quels domaines s’illustre-t-il déjà comme un partenaire d’entrainement ?

Le robot : partenaire d’entrainement physique

Au sens strict du terme, les robots sont d’abord devenus des partenaires d’entrainement dans le domaine de l’exercice physique. L’exemple le plus fameux en date est celui de Forpheus : sorti en 2014, ce robot s’est progressivement illustré comme un joueur de tennis de table capable de faire face à des adversaires humains professionnels et est aujourd’hui inscrit au livre des Guinness records.

Non seulement, capable de détecter des mouvements et d’y réagir très rapidement, Forpheus est également en train de devenir un véritable coach sportif : il sait s’adapter au niveau de son adversaire et lui donner des informations sur ses performances ainsi que des conseils pour s’améliorer. Autrement dit, il permet de mettre à l’épreuve le sportif en pratiquant aussi bien que lui et en lui adressant du feedback personnalisé. On sortirait déjà presque d’une relation de partenaires, égal à égal, pour rentrer dans une relation d’apprentissage en faveur du robot. En lire plus

Évidemment, le véritable avantage d’un robot comme partenaire d’entrainement est celui d’être inépuisable (jusqu’au bug technique). Est-il plus performant qu’un partenaire humain ? Cela n’a jamais été directement comparé et mesuré.

Le robot : partenaire d’entrainement cognitif

Ces dix dernières années, les progrès de l’intelligence artificielle ont permis de doter les robots de compétences de plus en plus élaborées et ainsi, de devenir des partenaires d’entrainement sur des tâches très diversifiées, pas uniquement physiques mais également cognitives 

Entraîner son esprit critique

Depuis 2012, une équipe dédiée de l’entreprise IBM travaille sur le Project Debater : une intelligence artificielle capable de débattre sur près d’une centaine de sujets. Côté recherche, le travail consiste à lui faire développer des compétences analytiques et argumentatives indispensables au débat : distinguer différents types d’arguments (e.g. des faits et des opinions), reconnaître de quel côté se situe son interlocuteur, mobiliser des connaissances pertinentes pour soutenir ses arguments, faire des plaisanteries, etc. Autrement dit, le Project Debater va bien au-delà des réponses toutes faites ; il devient progressivement capable de mettre à l’épreuve un interlocuteur humain sur un sujet complexe.

En tant que telle, cette technologie pourrait permettre de s’entraîner à débattre sur des controverses variées et devenir capable, à terme d’accompagner les humains face à des prises de décision complexes notamment lorsqu’elles requièrent un certain niveau d’impartialité. En matière de formation, ce robot pourrait se positionner comme un entraîneur privilégié de l’esprit critique des collaborateurs ; « soft skill » clé du XXI° siècle.

En 2018, le Project Debater a (presque) passé son premier test de Turing : l’intelligence artificielle a déjà débattu contre deux champions universitaires du débat, Noa Ovadia et Dan Zafrir au sujet des subventions publiques dans le domaine de la recherche spatiale. En effet, si cette intelligence artificielle pourrait en effet devenir un bon partenaire d’entrainement, notamment pour nous aider à développer des raisonnements techniques, il est peu probable qu’elle devienne prochainement capable de battre la rhétorique face à un plaidoyer humain.

Pratiquer des langues vivantes

De nombreuses intelligences artificielles permettent aujourd’hui de s’entraîner aux langues vivantes : leur avantage réel par rapport à des activités plus classiques, tels que les exercices écrits, est qu’elles apportent une composante conversationnelle. Or, avoir un interlocuteur natif, avec lequel on peut discuter régulièrement s’avère être le meilleur outil pédagogique pour apprendre une langue. En effet, la pratique de la langue, plus que l’apprentissage théorique de la grammaire ou de la syntaxe, est le meilleur moyen pour acquérir une langue.

Ainsi l’application Duolinguo, qui compte prêt de 200 millions d’utilisateurs, propose une solution gratuite pour s’entrainer à parler la langue de son choix. La formule repose sur un exercice de traduction quotidien, allant de 15 minutes à 1 heure, et qui encourage les utilisateurs grâce à un système de gamification et du feedback en temps réel.

En version robot, Robovie a été testé de manière plus expérimentale au Japon dans des salles de classe en école primaire, en complément des enseignants. Capable de parler près de 300 phrases en anglais, il pourrait presque être comparé à un correspondant étranger, avec lequel les enfants peuvent pratiquer leurs connaissances linguistiques sur le mode de la conversation. Des premiers résultats (Kanda et. al., 2004) indiquent que les enfants qui interagissaient plus souvent avec le robot durant les temps de classe avaient de meilleures performances lors de tests de reconnaissance de mots. En « s’humanisant » progressivement, dans leurs apparences et dans leurs comportements, les robots deviennent des candidats potentiels intéressants pour stimuler l’apprentissage des langues car ils peuvent simuler un interlocuteur étranger avec lequel converser.

Développer des compétences sociales, chez des personnes atteintes de troubles autistiques

Enfin, le robot apporte aussi des solutions potentiellement prometteuses dans la remédiation de certains troubles cognitifs, notamment les troubles de type autistique. Sophie Sakka, chercheuse en robotique à l’Ecole Centrale de Nantes, et fondatrice de l’association Rob’Autisme, raconte dans cette vidéo l’expérimentation qu’elle a menée auprès de six jeunes autistes :

En quelques mots, les éducateurs et chercheurs ont introduit le robot Nao auprès de ces adolescents. Ils avaient d’abord pour simple mission de le faire parler, de lui faire dire des choses ; c’est ce que la chercheuse appelle la technique du “danseur d’ombre” qui, tout comme le marionnettiste, fait raconter une histoire à ses marionnettes. De la même manière, les robots devaient constituer une « prothèse » pour permettre aux adolescents autistes de nouer progressivement un contact social avec les humains. Dans une première phase, ils ont appris à s’exprimer à travers les robots (e.g. utiliser le bon volume sonore, respecter la prise de parole) puis progressivement, ils ont commencé à raconter leur propre histoire afin d’en faire un spectacle pour leur famille ainsi que des personnes étrangères. Autrement dit, le robot Nao leur servait d’outil d’entrainement à la communication et au rapport social, avant d’être exposé aux interactions sociales humaines.

À travers cette expérimentation, les éducateurs ont réussi à créer des occasions permettant aux adolescents de s’adresser de plus en plus directement avec des humains en retirant la « prothèse » que constituaient les robots Nao.

Cet atelier a donné lieu à une recherche-action visant à mesurer des améliorations avant-après l’atelier. Bien que cette recherche se poursuive jusqu’en 2019, des résultats prometteurs ont déjà été mis en lumière : meilleures aptitudes de communication, crises d’angoisse moins fréquentes dans les interactions ou encore meilleure compréhension des notions de partage. Ici, le robot pourrait jouer un rôle de partenaire « d’entrainement social » pour des personnes qui sont fortement handicapés dans leur capacité à entretenir le contact humain. En lire plus