Les progrès technologiques à la fois en intelligence artificielle mais également en ingénierie induisent des frontières floues entre humain et machine. Quelles sont les limites de cette frontière floue, quels moyens a-t-on pour différencier l’Homme de la machine ?
Le Test de Turing
Alan Turing a imaginé un test permettant de différencier un homme d’une machine. Ce test se joue à trois : deux interviewés et un interviewer. L’interviewer doit déterminer lequel des deux interviewés est une machine et lequel est un humain.
Le but des deux interviewés est de faire croire à l’interviewer que l’autre est la machine et donc de mentir à l’interviewer. Toutes les questions sont autorisées.
Passez un test de Turing, vous-même :
Le dialogue suivant est la retranscription d’un véritable test de Turing. Essayez de deviner si « l’entité » est un être humain ou une machine.
Examinateur Aimez-vous le printemps ? Entité Ça dépend de mon humeur. Examinateur Combien font 11 et 11 ? Entité 22 Examinateur Et 512+512? Entité Je n’ai jamais été doué en calcul mental. Examinateur Ce n’est pas grave, essayez. Entité Voyons, 1000 quelque chose. 1024 je pense. Examinateur Récitez-moi un poème. Entité La servante au grand cœur dont vous étiez jalouse. Et qui dort son sommeil sous une humble pelouse… |
Examinateur
Pourquoi ne remplacez-vous pas « au grand cœur » par « au grand air » ? A mon avis ce serait plus joli. Entité Je l’aime mieux tel quel. Examinateur Pourquoi? Entité Vous n’êtes pas sérieux. « Au grand air » et « au grand cœur » ce n’est pas pareil. Examinateur Alors remplacez « Et qui dort son sommeil » par « qui tristement sommeille ». Entité Vraiment, je l’aime mieux tel quel. Examinateur Pourquoi ? Entité Le rythme du poème est meilleur. Examinateur Ce n’est pas mon avis Entité Vous aimez Baudelaire? Examinateur Oui |
Entité
Moi aussi. Examinateur Pourquoi Entité Je trouve qu’il exprime des sentiments profonds qui correspondent souvent à ce que je peux éprouver. Et puis peut-être aussi que ça me rappelle la période où je l’ai lu pour la première fois quand j’étais ado. Examinateur Vous aimez l’art? Entité Oui Examinateur Vous peignez ? Entité Comme un pied. Je suis plus attiré par la musique. Examinateur Vous jouez d’un instrument? Entité Oui, du piano Examinateur Jouez-nous un morceau. Entité Je n’ai pas d’instrument. |
REPONSE : C’est un ordinateur
Auriez-vous répondu de la même manière ? Et, à votre avis, pourquoi est-ce un ordinateur ? Quels indices vous permettent de déterminer que vous avez en face de vous un robot et non pas un humain ?
L’examinateur qui a été confronté à cette situation a donné les raisons suivantes :
- L’intelligence artificielle ne fait jamais appel à du bon sens ni à la vie quotidienne.
- Les réponses données ne nécessitent pas de réelle compréhension de la question. L’intelligence artificielle repère les questions par un point d’interrogation et les ordres par le mode impératif.
- Les réponses données pour les substitutions de termes dans le poème ne montrent pas une réelle compréhension du sens inhérent au poème mais plus des réponses passe-partout.
L’un des problèmes majeurs avec ce test est la tendance humaine à l’anthropomorphisme et considère un objet inhumain comme un être humain. Certains parlent à leur voiture, prêtent des intentions à leur télévision, à leur ordinateur … Si, dès le début du test, les intelligences artificielles sont avantagées par nos biais cognitifs, quelles chances avons-nous de percer à jour les différences entre machine et êtres humains.
La Vallée de l’étrange
La Vallée de l’étrange est une théorie scientifique du roboticien japonais Masahiro Mori qui s’intéresse au sentiment d’étrangeté que nous pouvons ressentir face à un robot. Plus un robot se rapproche d’une imitation humaine et plus le sentiment d’étrangeté se fait présent. En revanche, cette vallée pourra être franchie un jour et pourrait diminuer à terme ce sentiment d’étrangeté.
Cette zone de l’étrange vient d’une confusion au niveau du cerveau entre ce qui est perçu réellement et les attentes de ce dernier. Une équipe de recherche de l’Université de Californie a réalisé des études par IRM fonctionnelle auprès de sujet âgés de 20 à 36 ans. Ces participants voyaient dans des vidéos 3 différents personnages : un androïde (A) sans enveloppe externe et donc montrant ses composants mécaniques, un actroïde (B) (une androïde actrice) et une humaine (C).
Dans chacune des vidéos, le protagoniste effectuait des actions de la vie courante humaine comme dire bonjour, ramasser quelque chose … Les régions cérébrales qui s’activent de manière différente en fonction du type de protagoniste étaient les régions cérébrales associées avec la perception du mouvement et la vision (le cortex pariétal et le cortex visuel). Ils ont observé une activation beaucoup plus importante de ces régions lorsqu’était présentée aux participants la vidéo avec l’actroïde.
Les chercheurs pensent qu’il est possible d’expliquer ce phénomène par le fait que le cerveau s’attend, en voyant quelque chose ressemblant fortement à un humain, à ce qu’il bouge de la même manière qu’un humain. Hors, l’ingénierie mécanique n’est pas encore à même de proposer des robots se mouvant à l’identique de nos corps biologiques. La résultante est que notre cerveau extrapole cette différence, il ne peut intégrer cette information correctement et fait donc ressortir tous les écarts par rapport à la norme humaine.